Du cardiosecours à la machine docteur

Le cardiosecours, que certains d'entre nous ont connu, était un oscilloscope adapté à la médecine associé à un défibrillateur enfermé dans un imposant châssis métallique lesté par de grosses batteries en plomb qui en assuraient l'alimentation et l'entretien de la musculation du médecin ! Enfin, sur l'écran apparaissait un point lumineux plus ou moins persistant à partir duquel on essayait de reconstituer l'aspect du tracé qui, au moindre mouvement du câble ou du véhicule, se transformait en tracé d'EEG de crise convulsive généralisée.

Cet appareil a heureusement été maintenant remplacé par une " machine docteur " que l'on branche sur le patient au moyen de capteurs délivrant les " constantes " pouls, tension, saturation avec une précision supérieure aux variations instantanées physiologiques ainsi qu'un ECG avec une interprétation encore pour quelques temps " non confirmée ". Il ne manque plus à cet appareil que la parole afin de dire bonjour au patient ou à l'entourage dans l'improbable situation où l'équipe sur place aurait dans la précipitation oublié ce détail.

La médecine jusqu'au siècle dernier, en dehors de quelques gestes obstétricaux, amputations, saignées et lavements, n'a été qu'accompagnement. Il ne serait d'ailleurs venu à l'idée de personne de lui demander plus et a fortiori de poursuivre un médecin pour incompétence. Or nous disposons maintenant d'une connaissance scientifique et d'équipements qui nous permettent de réaliser des miracles inimaginables il y a encore quelques décennies comme par exemple la thrombolyse au domicile du patient.

Il serait donc dommage de se limiter à convertir le patient en chiffres, de ne plus avoir de contact physique avec ce dernier qu'au moyen de capteurs qui finissent par prendre une telle importance que l'on en oublierait presque qu'il est toujours possible de vérifier avec un banal tensiomètre l'ordre de grandeur des chiffres de pression affichés par une machine perturbée par les vibrations de la route.
Le danger, au milieu de cette technologie utile au patient serait de perdre de vue ce qui a été pendant des siècles la fonction essentielle du médecin même dans l'urgence : l'accompagnement. C'est en cela que, même en situation courante, une équipe de SMUR avec au moins trois personnes est indispensable : pour pouvoir associer la technique à la relation humaine. C'est précisément cette association qui distingue notre science - pour ne pas dire notre art - d'un rôle dévalué de technicien médical pointant à la sortie de l'usine.

La technique aide le médecin mais ne se substitue pas à lui. Or c'est précisément dans les interventions auprès des patients, en associant le cœur et la science, que nous pouvons retrouver notre fonction qui est la plus noble : celle d'assistance aux personnes. C'est dans cette action et par notre appartenance à cette fonction que nous avons en contrepartie des droits et non l'inverse.

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