Espace éthique : la lettre

Assistance Publique - Hôpitaux de Paris

N° 15 – 16 – 17 – 18 ; hiver – été 2002

 

Prendre soin.

Pr Didier Sicard

 

Notre société a délégué à la médecine le soulagement de la souffrance et l’affrontement de la mort. C’est une situation nouvelle dans l’histoire de l’humanité, qui nous oblige et nous dépasse quelquefois. Nous oblige, avec la responsabilité écrasante de répondre autant à la souffrance physique que morale ; nous dépasse parfois, car la tentation est grande en effet de privilégier l’excellence, la performance, l’exploit, le défi thérapeutique, médical ou chirurgical, l’esprit d’ouverture, le dépassement du quotidien, bref d’être fasciné par le progrès médical sans fin et sans limite, plutôt que de « prendre soin ». C’est-à-dire s’approcher, écouter, garder en réserve son artillerie diagnostique et thérapeutique.

 

 

Prendre soin, c’est percevoir pour celui qui souffre, qu’il est quelqu’un pour celui qui soigne. C’est prendre conscience de l’asymétrie radicale de la situation, comprendre le sentiment d’exclusion temporaire du monde des biens portants, confronté au confort mental d’une équipe soignante plus ou moins blindée dans ses défenses.

Prendre soin, c’est en même temps exprimer sa compassion et ne pas fusionner, être attentif, vigilant et non juge, dépositaire de bonnes pratiques médicales ou chirurgicales, tout en respectant le sujet.

 

 

Prendre soin, c’est donc assumer notre métier pour en faire peut-être le dernier rempart face à l’indifférence de notre monde, le dernier refuge de l’humanité de notre société.

 

 

Respecter la personne malade.

Thierry Amouroux

 

Traiter un malade en être humain est plus facile à envisager qu’à mettre en pratique jour après jour.

Or c’est dans la gestion de leur vie quotidienne que les malades sont les plus perturbés. Ils perdent habituellement tout ce qui fonde leur identité – leurs statuts sociaux conférés par leur état civil, leur profession, leur appartenance à différents groupes -, pour endosser « l’identité maladie » qui envahit tout leur champ spatial, temporel, et relationnel.

 

 

Il y a dans le quotidien de nos pratiques des manières de faire, des habitudes qui ne nous choquent même plus, et qui sont pourtant en contradiction avec notre idéal. Que dire, par exemple, des soins qui sont dispensés systématiquement, sans se soucier de savoir ce qu’ils signifient pour le malade (comme la pesée systématique ou la tournée des « pouls, tension, température » trois fois par jour) ?

 

Pour faciliter le fonctionnement d’un service ou l’organisation des soins, on n’hésite plus à sacrifier le confort du malade. Les repas sont ainsi souvent servis vers dix-huit heures, voire dix-sept heures.

Dans combien de services les malades sont-ils réveillés à six heures du matin pour la prise de température systématique, alors que les premiers médecins n’arrivent pas avant neuf heures ?

Et que dire des tortures que l’on peut faire subir aux malades lors de la pose de perfusion ou de prises de sang exécutées par des mains inexpertes et maladroites d’étudiants ? Certes, il est indispensable d’initier les futures infirmières aux techniques de soins, mais jusqu’à quel point peut-on considérer le malade comme cobaye ?

 

 

Pour Paul Ricoeur, « les vrais problèmes commencent avec les exceptions et les excuses. Toutes les cultures ont été confrontées à cela : trouver quelles sont les règles pour supprimer les règles. Voilà la véritable éthique : les vrais problèmes, qui ne sont pas noirs ou blancs, pour ou contre, mais qui sont dans l’entre-deux. L’entre-deux est le véritable lieu de la discussion morales ».

 

 

Alors que certains les opposent, il faut considérer que faire des soins et prendre soin sont des notions complémentaires.

 

 

La clinique en médecine : alliance des sens, de la raison et de l’humanisme

Dr Francis Grimberg

 

Le corps, l’esprit et le milieu.

L’être humain a, en effet, non seulement une biographie, avec son vécu conscient et inconscient, des sentiments et des émotions, des désirs et des rêves, une imagination, mais aussi une situation socioprofessionnelle et familiale, des habitudes culturelles et alimentaires, un patrimoine génétique et un système de défense qui font de lui un être unique et différent à la fois. Autant d’éléments à prendre en compte dans l’analyse scientifique et donc humaine d’un état pathologique.

 

La clinique permet au médecin de ne pas oublier l’homme, de ne pas dépendre passivement des examens complémentaires, de l’informatique ou des statistiques, de ne pas réduire, en organiciste impénitent,le malade à la maladie, la maladie à la lésion : il faut « prêter attention non seulement au corps, mais à l’ensemble de la personne et de son environnement. (…) Le corps, l’esprit et le milieu, inextricablement reliés entre eux, doivent être envisagés tous ensemble dans toute situation médicale (Dubos, l’homme ininterrompu) ».

 

A l’ère de la technoscience, avoir recours à l’examen clinique peut paraître à certains désuet et anachronique, mais la technologie, aussi sophistiquée soit-elle, ne suffit pas à caractériser comme moderne une science : la rationalité scientifique ne doit pas consister dans l’exploitation de tels moyens mais ce sont les moyens techniques qui doivent être au service de la rationalité. C’est parce que la médecine organiciste et scientiste ne lui donne pas satisfaction que le malade a paradoxalement recours à la médecine marginale : seul l’examen clinique permet de resserrer les liens indispensables du malade avec son médecin, sans lesquels il n’y aurait plus de médecine.

 

Valeur de l’examen clinique.

L’examen clinique fait appel aux sens du médecin. Les sens peuvent être émoussés et la rationalité peut ne pas être scientifique, c’est dire que la subjectivité du médecin conditionne la fiabilité de l’examen. Ces sens sont guidés par le savoir théorique et pratique, qui n’exclut pas toute rationalité ! Cette nécessaire liaison de la théorie et de la pratique a été clairement exprimée par William Osler (1892) : « Examiner les malades sans connaissance théorique, c’est comme naviguer sans carte et avoir des connaissances théoriques sans examiner les malades c’est comme… ne pas prendre la mer. »

 

Développer un esprit critique.

Il serait abusif de penser que toute plainte relève obligatoirement d’une lésion et de vouloir en faire la preuve. Il serait illusoire de considérer la lésion comme cause unique des symptômes. Il serait grave de ne pas tenir compte d’une plainte, surtout s’il n’y a pas de lésion.

 

Les sens alliés de la raison.

Il ne s’agit pas de mettre en cause les précieux apports des statistiques en médecine, notamment en épidémiologie, mais l’usage qu’en fait le médecin. Sa raison s’égare lorsqu’il applique leurs résultats à l’individu sous prétexte que c’est la seule qui lui donne la rigueur nécessaire pour adopter l’attitude thérapeutique la mieux adaptée : ce prétexte est en fait l’argument scientiste contre l‘aléatoire transformé en probabilité qui devient certitude, contre la corrélation prise pour la cause, contre le critère de qualité remplacé par celui de quantité ou de mesure.

C’est ainsi que le médecin positiviste d’aujourd’hui rationalise l’aléatoire en opposant le déterminisme du probable à la détermination du possible, alors que l’esprit scientifique ne peut prétendre, en médecine prédictive, établir une fois pour toutes des certitudes, mais doit rechercher en permanence l’évaluation des possibles toujours renouvelés.

 

Une approche constamment spécifique de la personne.

C’est à l’individu que le médecin a toujours affaire : « Il n’est point le médecin du type humain, de l’espèce humaine, rappelait Claude Bernard, il est le médecin d’un individu, et d’un individu même qui est placé dans des conditions particulières. » Il n’y a pas d’hommes qui n’aient rien de commun, mais ils sont à la fois tous différents, il n’y a pas d’homme « standard ».

 

 

Le questionnement éthique

Marie Pierre Ollivier

 

Le questionnement éthique comme interrogation de la morale.

La question de la responsabilité est la question éthique par excellence. En effet, on peut définir la responsabilité comme étant la capacité de prendre une décision sans en référer préalablement à une autorité supérieure. La question de la responsabilité renvoie donc le sujet à lui-même dans ce qui le constitue. Cette notion fait non seulement appel à ses capacités intellectuelles, mais également à la relation morale qu’il entretient avec le monde auquel il appartient.

Or le questionnement éthique va venir interroger cette morale. En effet, si la morale est définie par l’ensemble des règles d’action et les valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société, l’éthique s’intéresse quant à elle aux principes de cette morale, de ce qui la fonde. L’éthique nous convoque donc à un questionnement, à une recherche, à une confrontation avec l’autre, avec le point de vue de l’autre. Si la morale nous enseigne sur la conduite à tenir dans certaines circonstances, il est des domaines nouveaux dans laquelle elle s’avère inopérante, ce qui pousse alors le sujet à s’interroger. Cette interrogation à visée morale, c’est l’éthique.

 

L’éthique ne nous donne aucune réponse, bien au contraire : elle remet en cause, elle doute, elle exige de repenser les évidences, elle vient déranger le connu, l’ordre établi, en un mot elle remet en mouvement notre capacité à penser par nous-mêmes, elle suscite notre discernement et notre esprit critique.

 

Vérité et communication

Gérard Larché

 

Faculté de sympathie et d’empathie.

Les patients ne demandent sûrement pas qu’on ait pitié d’eux, mais plutôt que l’on témoigne de cette faculté de sympathie et d’empathie par laquelle la communication passe : l’un sait et éprouve, l’autre le comprend dans sa souffrance et son désarroi.

Retour à la liste des lectures